Une travailleuse se rend à une consultation gynécologique et apprend au cours de celle-ci qu’elle est enceinte. Son médecin lui remet un certificat médical attestant d’une incapacité de travail en raison du fait que sa grossesse est à risque. La travailleuse affirme avoir immédiatement téléphoné à son employeur pendant près de cinq minutes afin de le prévenir de sa grossesse. L’employeur prétend quant à lui avoir reçu un message de la travailleuse sur sar boîte vocale l’informant d’une incapacité de travail (et pas d’une grossesse) et l’avoir écouté deux heures plus tard. Moins de dix minutes après avoir prétendument écouté le message vocal, l’employeur dépose dans un point poste un courrier recommandé notifiant à la travailleuse son licenciement.
La travailleuse introduit une action devant le tribunal du travail afin de solliciter la condamnation de son employeur à lui payer l’indemnité de protection en raison de sa grossesse. Le tribunal lui donne raison et l’employeur interjette appel.
L’arrêt de la Cour du travail
La Cour rappelle que l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail dispose que l’employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut faire un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail à partir du moment où il a été informé de l’état de grossesse jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois prenant cours à la fin du congé postnatal, en ce inclus la période de huit semaines durant laquelle la travailleuse doit prendre, le cas échéant, ses jours de congé de repos postnatal. Selon la Cour, cette disposition ne prévoit pas une interdiction absolue de licencier ; le licenciement est uniquement envisageable pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement, qui doivent être démontrés par l’employeur.
Devant la Cour du travail, l’employeur change de version et affirme qu’il n’aurait ni eu d’entretien téléphonique avec la travailleuse, ni écouté de message vocal de celle-ci.
La Cour relève que la version des faits présentée par l’employeur est contradictoire et estime par ailleurs qu’il n’est pas vraisemblable que l’employeur ait écouté un message vocal de la travailleuse et ait ensuite eu le temps matériel de rédiger une lettre de licenciement et de la déposer dans un point poste moins de dix minutes après avoir prétendument écouté ledit message. La Cour en conclut que la travailleuse a effectivement téléphoné à son employeur (ce qui est établi par sa facture téléphonique) et note par ailleurs qu’il est peu probable que l’appel ait duré près de cinq minutes si la travailleuse avait uniquement voulu prévenir son employeur d’une incapacité de travail classique.
La Cour examine ensuite les motifs – ayant eux aussi évolué au cours de la procédure – invoqués par l’employeur afin de justifier le fait que le licenciement serait totalement étranger à l’état de grossesse. L’employeur prétendait que les absences répétées de la travailleuse auraient désorganisé son entreprise. Selon la Cour, dès lors que le licenciement est intervenu après que l’employeur ait été informé de l’état de grossesse de la travailleuse et du fait qu’elle serait absente car sa grossesse était à risque, et dès lors que l’employeur prétendait que le licenciement était justifié par des désorganisations suite à des absences, le licenciement était nécessairement justifié par cet état de grossesse.
La Cour conclut que l’employeur n’établit pas que le licenciement était totalement étranger à l’état de grossesse de la travailleuse et confirme par conséquent le jugement dont appel. L’employeur est condamné à payer à la travailleuse une indemnité forfaitaire égale à la rémunération brute de six mois (non-soumise aux cotisations de sécurité sociale). Il aurait été préférable pour l’employeur d’adopter une seule version des faits au cours de la procédure.
Amaury Arnould
Claeys & Engels
Source: C. T. Bruxelles, 6ème ch., arrêt du 19 février 2020 (R.G. n°2016/AB/559)