Le juge civil conserve son entier pouvoir d’appréciation des éléments qui lui sont soumis, souligne Gaëlle Willems (Claeys & Engels) dans la chronique de jurisprudence publiée dans HR Square n°8 (janvier-février 2016).
L’opportunité, en cas de licenciement pour motif grave, du dépôt subséquent par l’employeur d’une plainte pénale pour les faits reprochés au travailleur, doit être bien mesurée. Outre la suspension de la procédure civile dans l’attente de l’issue du procès pénal (« le criminel tient le civil en état »), la décision rendue au pénal sera prise en compte par le tribunal du travail amené à apprécier la réalité de la faute grave invoquée devant lui. L’acquittement au pénal est en effet fréquemment invoqué devant, ou par, les juridictions du travail pour rejeter le motif grave. Il faut cependant rester nuancé et ne pas oublier que les conditions pour qu’intervienne une condamnation pénale sont particulièrement strictes. Même en cas d’acquittement du travailleur au pénal, le tribunal du travail demeure tenu d’examiner la faute grave. Ces principes ont été rappelés par le tribunal néerlandophone du travail de Bruxelles.
Les faits
Un employeur découvre, suite à une enquête menée par les services de police pour fraude et abus de fonds publics au sein d’une organisation sans but lucratif, qu’un de ses travailleurs est lié à cette organisation via son épouse et son beau-père qui y occupent des fonctions. L’employeur constate par ailleurs l’existence de factures qui lui ont été adressées par cette organisation, ainsi qu’un faux en écriture, manifestement rédigé par l’épouse du travailleur.
Le contrat de travail est rompu pour motif grave, l’employeur reprochant au travailleur de ne pas lui avoir signalé la situation de conflit d’intérêts et d’avoir participé à une escroquerie. Référence est à ce titre faite au faux en écriture établi par l’épouse du travailleur.
Une plainte pénale est également déposée. Le travailleur sera cependant acquitté en ce qui concerne l’infraction de faux en écriture, son implication n’étant, pour les juridictions pénales, pas établie avec certitude. Le travailleur conteste son licenciement pour motif grave devant les juridictions du travail, et invoque notamment son acquittement au pénal.
Jugement
Le tribunal du travail rappelle que la faute grave doit être démontrée avec certitude par l’employeur. Il précise néanmoins que le fait que le travailleur ait été acquitté au pénal n’implique pas que la faute reprochée par l’employeur ne soit pas établie. Le tribunal rappelle qu’il lui appartient toujours d’apprécier les manquements reprochés par l’employeur.
Le tribunal opère dès lors une analyse des éléments qui lui sont soumis et constate, entre autres, que la société disposait d’un règlement interne mentionnant expressément que toute situation de conflit d’intérêts devait être signalée, que le travailleur n’a jamais mentionné à l’employeur que son épouse et son beau-père travaillaient pour l’organisation concernée, ni l’existence d’un faux établi par son épouse, ce dont il était pourtant informé. Le tribunal retient également comme circonstances aggravante le fait que le travailleur occupait une fonction à responsabilités.
Pour le tribunal, les fautes graves sont donc établies et le licenciement pour motif grave est fondé, même si le travailleur n’a pas été condamné à ce titre pénalement.
Trib. trav. Bruxelles (1ère ch.), 17 novembre 2015, RG n°14/2429/A