Dans le cadre de son occupation auprès de son employeur, un travailleur bénéficiait d’une assurance de groupe (plan de pension). Le règlement régissant cette assurance de groupe (règlement d’assurance de groupe / règlement de pension) prévoyait le paiement de contributions patronales. Cependant, en pratique, au cours de l’occupation du travailleur, l’employeur prélevait une part du salaire de ce travailleur en vue du versement des primes dans l’assurance de groupe. L’assurance de groupe du travailleur était donc, de facto, alimentée par des contributions personnelles, à charge du travailleur.
Par citation du 3 septembre 2018, le travailleur introduit une action à l’encontre de l’employeur, contestant cette pratique. Dans un jugement du 1er août 2019, le Tribunal du travail de Gand (division Gand) déclare l’action du travailleur irrecevable car prescrite. Le travailleur fait appel de cette décision.
La Cour examine d’abord la question de la prescription. Elle constate que l’action du travailleur est formulée tant ex contractu (action civile) qu’ex delicto (action pénale sur base de l’article 162 du Code pénal social) et que les dispositions applicables sont donc l’article 2262bis, §1er, alinéa 2 du Code civil et l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale.
La Cour rappelle, à cette occasion, que le travailleur qui fonde son action sur un délit ne peut se contenter d’énoncer des faits qui constituent, in abstracto, ce délit (en l’espèce, : le non-paiement de primes à l’assurance de groupe, lesquelles font partie de la rémunération au sens de la loi relative aux contrats de travail) : il convient de démontrer in concreto l’existence de l’élément matériel et de l’élément moral dudit délit afin que le délai de prescription en matière ex delicto trouve à s’appliquer.
En l’espèce, la Cour considère que le travailleur n’a pu prendre connaissance de son dommage que le 1er mars 2018 (âge légal de la pension) et que l’action a donc été introduite endéans le délai de prescription applicable.
Notons que, s’agissant de faits antérieurs à la loi du 15 mai 2014 portant des dispositions diverses, ceci ne remet pas en cause le fait que le seul délai de prescription applicable en matière de pensions complémentaires est le délai de prescription unique de 5 ans et qu’il est uniquement fait application, en l’espèce, des mesures transitoires prévues aux articles 3 et 4 de cette loi du 15 mai 2014 (voyez à ce sujet: https://hrsquare.be/fr/ressources-juridiques/pension-complementaire-et-prescription-le-point-sur-les-differentes-bases-legales).
La Cour relève qu’il n’existe aucune référence à des contributions personnelles dans le règlement de pension. L’employeur, pour justifier l’existence de pareilles contributions personnelles, se prévaut d’arrangements dérogatoires au règlement de pension, convenus oralement avec le travailleur.
La Cour considère cependant que pareils arrangements dérogatoires ne pourraient être démontrés que par la production d’un écrit et que des présomptions et témoignages ne suffisent pas. Par ailleurs, la Cour précise que, du simple fait que le travailleur n’ait pas émis de contestation au cours de son occupation, il ne peut être déduit que ce travailleur est en aveu extrajudiciaire (ou qu’il aurait renoncé à se prévaloir de ses droits).
Conclusion
Lorsqu’il est convenu, de commun accord des parties, de déroger à une convention écrite (qu’il s’agisse d’un contrat de travail, d’un règlement de pension, …), il convient de se ménager une preuve écrite de ces arrangements dérogatoires (pouvant prendre la forme, par exemple, d’un avenant à la convention d’origine). À défaut d’une preuve écrite, le juge écartera vraisemblablement ces arrangements dérogatoires, à défaut, pour ces derniers, d’être suffisamment démontrés.
Par ailleurs, et bien que cela ne soit pas précisé dans l’arrêt de la Cour, il convient de noter qu’adopter un comportement dérogatoire à ce qui est prévu dans le règlement de pension, sans modifier ce dernier en ce sens, reviendrait à violer le caractère réglementaire dudit règlement de pension (ce qui serait contraire à la législation en la matière).
Caroline Huart
Claeys & Engels
Source: C. trav. Gand (div. Gand), 11 janvier 2021, T.G.R. 2021, pp. 131-137.