Dans le cadre d’une enquête conduite par les autorités de concurrence roumaines à propos de potentielles manipulation d’offres dans le cadre de la passation de marchés publics, un des employeurs visés a demandé à son responsable du marché roumain de transmettre l’ensemble des informations utiles aux autorités, en ce compris la nature de ses relations avec les autres sociétés visées.
Le responsable concerné a soutenu n’avoir aucun contact avec ces entreprises. Dans le cadre de l’enquête interne qui s’en est suivi, au cours de laquelle les e-mails envoyés et reçus par le travailleur ont été vérifiés, la société s’est pourtant aperçue que différents e-mails avaient été échangés entre le travailleur concerné et une des autres entreprises visées par l’enquête, contrairement à ce que soutenait le travailleur.
La société a donc pris la décision de licencier le travailleur pour motif grave.
Décision de la Cour du travail de Bruxelles
Amenée à se prononcer sur la licéité de la preuve que constituent les e-mails consultés par l’employeur, la Cour a tenu compte des éléments suivants:
- Le correspondant du travailleur était un contact professionnel;
- Les e-mails étaient adressés à partir du matériel mis à la disposition du travailleur par la société;
- L’usage de la boite mail avait un caractère professionnel;
- La policy applicable au sein de l’entreprise indiquait que l’employeur pouvait y avoir accès.
Au vu de ces éléments, la Cour du travail a estimé que les principes de finalité et de proportionnalité mis en place par la Convention collective de travail n°81 du 26 avril 2002 avaient bien été respectés.
La Cour a en outre écarté l’application de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel (désormais remplacée par le RGPD) et de l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, dans la mesure où ces dispositions ne viseraient pas les courriels en cause, sans rapport avec la vie privée.
La Cour a partant déclaré les preuves recevables et a déclaré le licenciement pour motif grave fondé.
Décision de la Cour de Cassation
La Cour de Cassation a décidé de casser l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, en ce que la Cour écartait l’application de l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 précitée. La Cour a en effet considéré que cette disposition s’appliquait tant aux e-mail privés que professionnels et ne pouvait dès lors pas être écartée au motif que les e-mails concernés revêtaient exclusivement un caractère professionnel, et n’avaient donc aucun lien avec la vie privée.
En conclusion
Cet arrêt, contrairement à ce qu’il pourrait laisser penser et à ce que défendent certains auteurs, n’interdit pas définitivement le contrôle des e-mails par un employeur. En effet, la Cour de Cassation ne casse l’arrêt de la Cour du travail qu’en raison du fait que cette dernière a considéré que l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 ne s’appliquait purement et simplement pas à des e-mails à caractère professionnel. Or, la Cour du travail aurait dû vérifier si les conditions de l’article 124 (et le cas échéant de ses dérogations) étaient respectées en l’espèce.
En conclusion, le contrôle des moyens de communication électronique d’un travailleur n’a pas été censurée de façon générale, mais la prudence reste évidemment de mise avant tout monitoring des e-mails, même professionnels, d’un travailleur.
Hervé Rodrique
Claeys & Engels