Chief People Officer chez Mazars, premier groupe d’audit-conseil intégré français actif dans 89 pays et qui se pose en alternative aux Big 4, Laurent Choain a connu plusieurs vies professionnelles : dans le monde des business schools (comme professeur et dans le domaine de l’accréditation), dans l’hôtellerie de luxe et dans la banque d’épargne. Depuis près de dix ans, il pilote les RH d’un réseau qui a beaucoup grandi pour employer 40.000 personnes dans le monde. « On peut voir l’économie comme un grand paquebot, confie-t-il. Une firme comme Mazars, faiblement capitalistique et à haute concentration intellectuelle, composée majoritairement de jeunes diplômés qui n’y feront pas leur vie professionnelle, se situe à la proue et se prend tous les embruns. Nous sommes en effet confrontés à un certain nombre de problématiques plus vite que les autres et nous devons y répondre sans repères puisque personne n’y a été confronté avant nous. »
Son métier, il le voit donc comme une fonction de prototypage de solutions innovantes. « Il existe deux façons d’exercer la fonction de DRH, ajoute-t-il. La première peut être qualifiée d’intrinsèque, centrée sur la vie interne de l’entreprise. La seconde se veut volontairement extrinsèque, poreuse vis-à-vis du monde extérieur. Notre CFO s’amuse régulièrement de ne pas souvent me voir au bureau. C’est normal. Dans un groupe actif partout dans le monde, je dois d’abord être dans les pays. Je dois aussi agir en éclaireur et brancher Mazars au monde extérieur. Ce n’est pas en restant dans mon bureau que je vais pouvoir comprendre comment se positionnent les générations X et Y sur le marché et trouver comment les attirer. Le DRH n’a pas vocation à rester dans son bureau, mais à en sortir le plus possible. »
Sortir des clichés
Dans une entreprise comme Mazars, la moyenne d’âge est de 28 ans. « Et, chez nous, les hauts potentiels, c’est 90% de l’effectif ! C’est une bonne nouvelle, sauf que la toute grande majorité n’envisagent pas de rester chez nous. Voilà qui rend la logique de marque employeur très différente. La guerre des talents, nous y sommes confrontés tous les jours : nous nous battons pour les mêmes ressources avec les grands noms de notre secteur, mais aussi avec les autres grandes entreprises, dont les GAFA. L’attraction des talents représente dès lors un sujet stratégique essentiel. »
En 2013, Mazars a mené une grande enquête pour mieux comprendre la génération Y (les personnes nées après 1980 et avant 1995). Pas moins de 7.000 personnes dans 64 pays ont été invitées à répondre à quelque 70 questions. L’an passé, le même exercice a été réalisé auprès de la génération Z (les jeunes nés après 1995). « C’est cette génération que nous recrutons désormais en masse et qui représente déjà 10% de nos effectifs. Que voyons-nous ? Les aspirations de la génération Y diffèrent de celles des X, et celles des Z différents de celles des Y, mais pas selon les clichés qui circulent le plus souvent. Par exemple, on entend beaucoup dire que les Y ne voudraient pas manager. Chez nous, c’est tout le contraire. La réalité que personne ne voit venir, c’est que dans les années à venir, ce sont les Y qui vont manager les Z. Et ils ne vont pas le faire comme les X, ni en suivant les codes de management que ces derniers leur ont appris ou montrés. Non, ils veulent qu’on leur permette de manager à leur manière. On va donc avoir de très jeunes Z, différents des Y, qui seront dirigés par des Y, avec des codes différents. »
Reproduire le miracle
Une autre clé de lecture s’inscrit dans la lignée des réflexions de Peter Drucker. « Dans la deuxième partie du XXe siècles, les sociétés occidentales sont parvenues à multiplier la productivité du travail — aussi bien ouvrier qu’administratif — par 50, note Laurent Choain. L’enjeu du XXIe siècle sera de reproduire ce miracle au niveau de la productivité des travailleurs du savoir. Il faut pour cela identifier ce qu’est la productivité du savoir intellectuel, comprendre comment la développer et parvenir à mieux reconnaître l’impact intellectuel qu’ont les gens. »
Là également, des clichés font rage, comme cet engouement autour de l’intelligence artificielle, du machine learning et de la blockchain. « C’est secondaire au sens que ce ne sont que des technologies. L’intelligence artificielle ne parviendra jamais à se mettre au niveau de l’intelligence, de l’innovation et de la créativité humaine. Tout au plus parviendra-t-on à se doter d’une intelligence augmentée. Le vrai sujet reste donc là : développer l’intelligence et le savoir, capter les sources de créativité conceptuelle et gérer des ressources intellectuelles plus complexes. »
C’est dans cette optique que Mazars a créé, avec d’autres entreprises comme L’Oréal, Auchan, Areva, Saint-Gobain, etc., The Next MBA, un programme visant à développer sur un modèle B-to-B les compétences pour manager les travailleurs du savoir. « On peut avancer sans se tromper que 100% des MBA de par le monde ont pour objectif d’accroître l’efficience, et la crise de 2008 a montré où cela mène : hyper-financiarisation, hyper-concentration de quelques acteurs dominant leur secteur, réduction de la diversité de l’offre qui ne bénéficie pas au client, rotation des dirigeants, etc. Ce qui compte pour l’avenir, ce n’est plus l’efficience, mais la résilience. Et c’est cette résilience que notre MBA vise à développer. Regardez Steve Jobs : il n’était pas du tout efficient, mais il a été très résilient pour réinventer complètement Apple. »
Classe créative
Comme il l’a relevé, un des enjeux pour Mazars ne réside pas tant dans l’identification et le développement des hauts potentiels — « tout le monde l’est dans notre firme » —, mais plutôt d’identifier la « creative class » qui porte en elle la capacité d’être à la pointe du changement, voire d’en être la courroie de transmission la plus efficace. « On ne la retrouve pas forcément en haut de la pyramide, ni chez les jeunes, ni chez ceux à qui l’on donne pour mission d’être créatifs. Elle est diffuse, elle est multiple, distincte des institutions de pouvoir habituel de l’entreprise. »
Laurent Choain conçoit trois cercles concentriques : l’entreprise dans son ensemble, la classe institutionnelle dirigeante et la classe créative. « Cette dernière peut regrouper quelques personnes parmi les dirigeants, quelques autres qui ne sont pas des dirigeants et d’autres encore qui ne sont même pas sous contrat dans l’entreprise. Les entreprises seront de plus en plus à l’avenir des assembleurs de compétences d’horizons multiples et un des rôles du DRH consiste à animer cet écosystème créatif. »
Le Chief People Officer de Mazars conclut par une conviction : la nécessité de stimuler les activités de recherche conduisant à un doctorat. « L’idée n’est pas que l’entreprise embauche plus de titulaires de doctorat, mais qu’elle encourage les dirigeants et cadres supérieurs expérimentés à s’engager dans la recherche doctorale ! N’abandonnons pas les sciences de gestion aux universités et aux hautes écoles. Les dirigeants en poste ont accès à des matériaux de recherche empirique de première main et d’avant-garde, hors de portée de nombreux chercheurs. »
Christophe Lo Giudice
Le panel consacré à l’évolution du rôle de DRH dans lequel interviendra Laurent Choain se tient le 22 octobre à 14h30. Il croisera son regard avec celui de Katarina Berg, CHRO de Spotify, Katelin Holloway, VP People chez Reddit, Joy Xu, Global Head of HR chez Sandoz, Evelyn Ross, Chief People Officer chez The Warehouse Group et Lars Schmidt, fondateur d’Amplify.
Rendez-vous à UNLEASH Paris
UNLEASH, la conférence sur le futur du travail et le salon des (nouvelles) technologies RH, se tient les 22 et 23 octobre à Paris, au Paris Convention Centre (Porte de Versailles). Un très grand nombre d’orateurs sont attendus avec, parmi les Keynote Speakers, Muriel Pénicaud, ministre française du travail et ancienne DRH du groupe Danone, le célèbre John Bersin, Janina Kugel, Chief HR Officer de Siemens, Erin Meyer, auteur de The Culture Map, le chanteur et militant politique Bob Geldof ou encore l’activiste environnementale Céline Cousteau.
Programme et inscription: https://unleashgroup.io/