Manon Walckiers, Avocate, Claeys & Engels
Les faits
La travailleuse ainsi que deux de ses collègues, prestant en qualité de vendeuses, ont été licenciées pour cause de démotivation générale. Cette travailleuse estime toutefois que son licenciement est intervenu parce qu’elle avait exprimé à son employeur son souhait de ne plus effectuer d’heures supplémentaires non-déclarées, comme ses deux autres collègues licenciées. Elle réclame à cet égard la condamnation de l’employeur au paiement d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. La travailleuse appuie sa revendication sur un enregistrement audio d’un entretien s’étant déroulé entre un mandataire de l’employeur et une des travailleuses licenciées. L’employeur demande toutefois l’écartement de cette pièce, au motif que l’enregistrement a été réalisé à l’insu du mandataire en question.
Le jugement du tribunal du travail
Statuant sur la question de la recevabilité de l’enregistrement audio comme preuve dans les débats, le tribunal estime tout d’abord qu’il y a lieu de se poser deux questions : la preuve est-elle irrégulière, à savoir illégale ou déloyale et, si oui, la preuve irrégulière peut-elle être prise en considération ?
Alors que l’employeur invoque une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, protégeant le droit à la vie privée, pour postuler le caractère illégal de la preuve, le tribunal rappelle que cette disposition ne consacre pas un droit absolu et que des limitations sont possibles. Ainsi, le juge doit décider si l’usage de l’enregistrement constitue une violation du droit à la vie privée sur la base des éléments de fait de la cause, en prenant en compte le critère de l’attente raisonnable du respect de la vie privée. Le tribunal estime qu’en l’espèce, la conversation téléphonique s’étant tenue sur le lieu de travail, pendant les heures de travail, entre parties liées par un contrat de travail et ne concernant que le travail, sa production en justice dans le cadre du litige en cause ne constitue pas une violation du droit à la vie privée du mandataire.
Toutefois, le tribunal rappelle ensuite le devoir de loyauté mutuelle que se doivent travailleur et employeur et décide sur cette base que la preuve est irrégulière parce que déloyale.
Concernant la question de savoir si cette preuve irrégulière peut être prise en considération, le tribunal rappelle la jurisprudence « Antigone » de la Cour de cassation, rendue en matière pénale, qui pose comme principe l’admissibilité de la preuve irrégulièrement obtenue, sauf si elle viole une règle prescrite à peine de nullité, si l’irrégularité commise entache la fiabilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Le tribunal cite également l’arrêt « Manon » dans lequel la haute juridiction a souligné qu’un juge peut prendre en considération la circonstance que l’illicéité est sans commune mesure avec la gravité de l’infraction dont l’acte irrégulier a permis la constatation, ou qu’elle est sans incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée.
S’appuyant sur une tendance majoritaire des juridictions du travail qui appliquent les jurisprudences « Antigone » et « Manon » en droit du travail, le tribunal fait application de ces principes au cas d’espèce et considère qu’aucune des exceptions au principe de l’admissibilité de la preuve irrégulière n’est rencontrée. Au sujet plus précisément de l’exception relevant de l’atteinte au droit à un procès équitable, le tribunal estime que l’enregistrement a pu faire l’objet d’un débat contradictoire et que la violation du principe de loyauté qu’entraine sa production en justice est proportionnée au but recherché, à savoir réserver la preuve du comportement de l’employeur qui licencie une travailleuse parce que cette dernière refuse de prester des heures supplémentaires non-déclarées.
Trib. trav. Liège, div. Liège, 7 juin 2021, R.G. n° 20/1119/A, inédit.