La travailleuse en question avait introduit auprès de l’ONEm une demande de crédit-temps à mi-temps du 13 janvier 2014 au 13 janvier 2015. L’employeur a marqué son accord sur ce crédit-temps le 12 décembre 2013. Le 12 février 2014, l’employeur notifie le licenciement de la travailleuse moyennant une indemnité compensatoire de préavis. La travailleuse en question réclame ensuite une indemnité de protection de 6 mois de rémunération au motif que la protection spéciale contre le licenciement liée à son crédit-temps aurait été violée.
Le Tribunal du travail du Brabant Wallon, appelé à se prononcer sur ce litige en première instance, constate que l’avertissement adressé à l’employeur n’indiquait pas la date de prise de cours ainsi que la durée du crédit-temps souhaitée. Aux termes de ce jugement, le Tribunal considère qu’au vu de cette carence formelle de même que l’impossibilité de connaitre la date du début de la période de protection, aucune période de protection n’avait pris cours et que dès lors aucune indemnité de protection n’était due.
La Cour du travail de Bruxelles réforme ce jugement dans son arrêt du 24 février 2020.
La décision de la Cour du travail de Bruxelles
La Cour relève d’emblée que si l’article 12, §8, de la CCT 103 prévoit effectivement que le travailleur doit mentionner dans l’avertissement qu’il adresse à son employeur la date de prise de cours ainsi que la durée du crédit-temps souhaitée, celui-ci, ni d’ailleurs aucune autre disposition de la CCT, ne prévoient quelque sanction qui priverait le travailleur de la protection prévue. La Cour va ensuite faire un raisonnement par analogie avec la loi de redressement du 22 janvier 1985 (loi applicable pour les congés dits thématiques tels que le congé parental, etc.) qui prévoit que le début de la protection du travailleur peut être fixé le jour de la demande ou le jour de l’accord entre le travailleur et l’employeur. Ce faisant, la Cour conclut qu’à défaut d’un avertissement relatif à une demande de crédit-temps dans les formes prévues, la protection contre le licenciement a pris cours à partir du moment où l’employeur a manifesté son accord, soit dans le cas présent le 12 décembre 2013.
La Cour ajoute qu’en tout état de cause, dans le cas d’espèce, la travailleuse avait été licenciée un mois après le début de la période pendant laquelle elle a bénéficié de son crédit-temps et qu’elle bénéficiait dès lors, en toute hypothèse, de la protection contre le licenciement au moment où il a été mis fin à son contrat.
La Cour du travail de Bruxelles constate, dans un second temps, que l’employeur ne prouvait pas à suffisance un motif étranger à la réduction de travail du fait de l’exercice du droit au crédit-temps. Selon la Cour, les courriers et attestations de clients déposées dans le cadre de la procédure pour attester de la mauvaise qualité du travail de la travailleuse manquaient de précision et la Cour indique également, pour autant que de besoin, qu’il apparaissait également que l’employeur n’avait pas non plus adressé la moindre observation à la travailleuse concernant son travail. La Cour condamne donc l’employeur à une indemnité de protection de 6 mois de rémunération, soit un montant de 4.831,06 EUR brut (aucune précision n’est reprise dans l’arrêt mais il semblerait que ce soit la rémunération réelle et donc réduite qui a été prise en compte pour ce calcul).
Intérêt de l’arrêt
L’article 21, §3, de la CCT n°103 prévoit que la protection de la personne ayant recours au système de crédit-temps prend cours à partir de « l’avertissement par écrit opéré conformément à l’article 12 », c.-à-d. l’écrit du travailleur par lequel il avertit l’employeur de son désir d’exercer son droit au crédit-temps.
Le travailleur doit avertir l’employeur trois mois à l’avance lorsque l’employeur occupe plus de 20 travailleurs ou six mois à l’avance lorsque l’employeur occupe 20 travailleurs ou moins. Cela signifie que, sauf si l’employeur et le travailleur s’accordent sur d’autres modalités, l’interdiction sort ses effets trois mois (lorsque l’employeur occupe plus de 20 travailleurs) et six mois (lorsqu’il en occupe 20 ou moins), avant la prise de cours souhaitée de la période de suspension ou d’interruption des prestations.
L’article 12 de la CCT n°103 suppose également que l’écrit reprenne certaines mentions, que certaines attestations accompagnent la demande, etc. L’article 21, §3, de la CCT n°103 renvoyant à l’écrit « opéré conformément à l’article 12 », il pourrait en être déduit que si l’écrit ne répond pas aux formalités de l’article 12, la protection contre le licenciement ne peut sortir ses effets.
La Cour du travail de Mons avait confirmé, implicitement à tout le moins, ce raisonnement dans un arrêt le 8 novembre 2017 en examinant si la « demande » de crédit-temps avait été valablement introduite. Le Tribunal du travail de Bruxelles a également confirmé, à plusieurs reprises, ce raisonnement : dès lors que l’avertissement présente une carence formelle, la protection spéciale contre le licenciement ne peut sortir ses effets. L’arrêt précité de la Cour du travail de Bruxelles du 24 février 2020 ne semblerait dès lors pas se rallier à ce courant de jurisprudence.
Toutefois, ces décisions et arrêts concernaient des cas de crédit-temps qui n’avaient pas encore pris cours. Dans les faits qui ont donné lieu à l’arrêt précité de la Cour du travail de Bruxelles, le crédit-temps avait déjà pris cours, comme soulevé par la Cour.
Marjolaine Dessard
Claeys & Engels