Manon Walckiers, Avocate, Claeys & Engels
Le tribunal du travail francophone de Bruxelles a récemment eu l’occasion de se prononcer sur l’application par analogie de la CCT n° 109 aux employeurs du secteur public et l’obligation d’auditionner l’agent contractuel préalablement à une décision de licenciement, des questions qui ont fait couler beaucoup d’encre. Dans un contexte jurisprudentiel divisé, le tribunal s’est prononcé en faveur de l’application par analogie de la CCT n°109. La juridiction a, par ailleurs, rappelé l’obligation dans certaines circonstances d’auditionner l’agent, tout en considérant que, lorsque les faits justifiant la rupture du contrat de travail pour motif grave et leur gravité sont établis, l’agent échoue à apporter la preuve d’un dommage résultant de l’absence d’audition, consistant en la perte d’une chance de conserver son emploi.
Les faits
Le travailleur, engagé dans les liens d’un contrat de travail avec un employeur relevant du secteur public, a été licencié pour motif grave après avoir adopté un comportement agressif envers le médecin-contrôle. Il a ensuite contesté en justice son licenciement, sollicitant le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis, d’une indemnité à titre de dommage patrimonial, principalement pour réparer le préjudice qu’il aurait subi suite à son absence d’audition, et d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.
Le jugement du tribunal du travail
Le tribunal considère tout d’abord que le licenciement pour motif grave du travailleur est irrégulier, dès lors que l’employeur manque à prouver qu’il lui a communiqué les motifs du licenciement dans les trois jours ouvrables suivant la notification du congé. A l’employeur, qui invoque le fait que le courrier contenant les motifs du licenciement était repris dans la même enveloppe que le courrier de notification du licenciement, le tribunal répond que la preuve n’en est pas apportée et que
« s’il n’est nullement interdit pour un employeur d’adresser deux courriers distincts au travailleur dans une même enveloppe, l’employeur accepte se faisant le risque que […] le travailleur soutienne ne pas avoir reçu les deux courriers ».
L’indemnité compensatoire de préavis est donc considérée comme due.
Ensuite, se penchant sur la demande d’indemnité à titre de dommage patrimonial, le tribunal rappelle qu’il appartient à l’employeur public qui envisage d’adopter à l’égard d’un agent contractuel une mesure grave, tel le licenciement, de l’auditionner préalablement lorsque la mesure est liée à sa personne ou à son comportement. Le tribunal considère qu’en l’espèce, l’employeur a commis une faute en ne procédant pas à cette audition. Il observe à cet égard que le fait que le travailleur avait connaissance des manquements qui lui étaient reprochés est sans incidence.
Le tribunal estime toutefois qu’aucune indemnité n’est due. Outre la preuve d’une faute commise par l’employeur, le travailleur doit également démontrer qu’il a subi un dommage, distinct de celui couvert par l’indemnité de rupture qui est réputée réparer l’entièreté du dommage causé par le licenciement. Le dommage peut consister en la perte d’une chance d’obtenir un avantage, comme le fait de conserver son emploi. La chance perdue doit toutefois être réelle et sérieuse.
En l’espèce, estimant que les faits reprochés au travailleur et leur gravité sont établis, le tribunal considère que, même si le travailleur avait été auditionné préalablement à son licenciement, les chances qu’il aurait eu de conserver son emploi ne sont pas réelles. Dès lors que l’audition préalable ne lui aurait en tout état de cause pas permis de conserver son emploi, le dommage n’est pas établi et aucune indemnité n’est due à titre de dommage patrimonial.
Enfin, quant à la demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal rappelle tout d’abord la jurisprudence de la Cour constitutionnelle selon laquelle il appartient aux juridictions de s’inspirer de la CCT n° 109 pour garantir aux travailleurs du secteur public leurs droits en cas de licenciement manifestement déraisonnable. La juridiction remarque ensuite que la jurisprudence est divisée sur la question de l’application par analogie de la CCT n° 109 aux contractuels du secteur public. Elle se rallie au courant qui considère qu’il faut s’inspirer de la CCT n° 109 et de ses critères pour apprécier si l’employeur public a fait un usage excessif de son droit de licencier. Le tribunal constate toutefois qu’en l’espèce, les motifs sur lesquels sont basés le licenciement du travailleur, à savoir l’agression du médecin-contrôle, sont fondés et que le licenciement n’est donc pas manifestement déraisonnable.
Intérêt de la décision
Ce jugement du tribunal du travail de francophone de Bruxelles attire notre attention sur trois points.
Premièrement, il est vivement déconseillé de glisser dans une enveloppe deux courriers séparés, spécialement dans le cadre d’une procédure aussi stricte que celle à respecter en cas de licenciement pour motif grave, sous peine de ne pouvoir apporter la preuve de l’envoi des deux courriers.
Deuxièmement, même lorsque l’employeur public commet une faute en n’auditionnant pas l’agent contractuel avant de procéder à son licenciement, encore faut-il que ce dernier démontre un dommage, le cas échéant la perte d’une chance réelle de conserver son emploi, pour qu’il puisse prétendre à une indemnisation. L’employeur pourrait alors apporter la preuve que les faits reprochés et leur gravité sont établis, de telle sorte que la chance ne peut être considérée comme réelle et qu’aucune indemnité n’est due.
Troisièmement, la controverse jurisprudentielle concernant la question de l’application par analogie de la CCT n° 109 dans le secteur public est encore vive, comme en témoigne le jugement commenté qui s’oppose à trois arrêts rendus en 2018, 2019 et 2022 par les cours du travail de Liège et Mons, lesquelles excluaient cette application par analogie (C. trav. Mons, 18 janvier 2022, R.G. n° 2020/AM/228, inédit ; C. trav. Mons, 9 avril 2019, R.G. n° 2018/AM/125, inédit ; C. trav. Liège, 22 janvier 2018, J.L.M.B., 2018). Cette controverse pourrait toutefois bientôt être close, dès lors que le gouvernement a récemment approuvé un avant-projet de loi visant à réglementer la motivation des licenciements des travailleurs contractuels du secteur public. Affaire à suivre…
Trib. trav. francophone Bruxelles, 27 février 2023, R.G. n° 21/4218/A, inédit.

Manon Walckiers
Avocate
Claeys & Engels