L’affaire en cause concerne une travailleuse ayant été licenciée moyennant un préavis de 17 semaines. Trois semaines plus tard, l’employeur et la travailleuse décident toutefois de mettre fin au contrat de travail de commun accord.
En première instance, la travailleuse introduit une action devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles afin de réclamer le paiement de la rémunération pendant toute la durée de son occupation qu’elle estimait ne pas avoir reçue. L’employeur, quant à lui, soutenait qu’il avait effectivement payé celle-ci ; une partie par virement bancaire et une autre partie de la main à la main. Le tribunal du travail se prononce en faveur de la travailleuse dans un jugement du 28 novembre 2016 et condamne l’employeur au paiement de ces sommes.
L’arrêt de la cour du travail francophone de Bruxelles
L’employeur interjette appel de cette décision le 9 mars 2017. Celui-ci réaffirme avoir effectivement payé la rémunération due et produit, pour toute la période de l’occupation, une copie de feuilles de paie mensuelles sur lesquelles apparaissent le décompte de la rémunération ainsi que la signature de l’employée à côté du montant net de la rémunération.
La quittance de paiement
Après avoir analysé les arguments des deux parties, la cour rappelle qu’en cas d’un paiement de la main à la main, l’article 5§1er, alinéa 3 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs dispose que « si le paiement de la rémunération se fait de la main à la main, l’employeur doit soumettre à la signature du travailleur une quittance de ce paiement ». Une quittance est une déclaration pouvant prendre n’importe quelle forme, établissant de manière certaine que le travailleur a bien perçu le paiement de sa rémunération.
La cour estime cependant que les feuilles de paie produites par l’employeur ne peuvent constituer une quittance. En effet, la seule apposition d’une signature sur une feuille de paie peut revêtir plusieurs significations, notamment la simple volonté d’accuser réception de la feuille de paie.
Des conséquences importantes pour l’employeur
La cour cite ensuite l’article 47bis de la loi du 12 avril 1965, prévoyant que la rémunération est considérée comme n’étant pas payée lorsqu’elle l’a été en violation de l’obligation de quittance.
L’employeur soutient toutefois que cet article 47bis contient une présomption réfragable, susceptible d’être donc renversée s’il parvient à prouver qu’il a effectivement payé la rémunération, via notamment les feuilles de paie.
La cour réfute cet argument. Se référant à d’un arrêt de la cour de Cassation du 14 avril 1986 et à deux arrêts de la cour du travail de Liège du 13 janvier 2016, la cour du travail de Bruxelles estime que l’article 47bis doit être considéré comme étant une présomption irréfragable ou une fiction. Par conséquent, la rémunération payée de la main à la main en l’absence de quittance est toujours considérée comme étant impayée, sans que l’employeur puisse démontrer le contraire. Ce dernier est donc condamné à devoir la « repayer ».
Quant au paiement de la rémunération par virement bancaire, l’obligation de quittance n’étant pas d’application, la cour considère que celle-ci a valablement été payée, et n’est donc pas due.
Conclusions
Deux enseignements peuvent être donc tirés de cet arrêt. Premièrement, en présence d’un paiement de la main à la main, la quittance doit clairement faire ressortir la déclaration du travailleur qu’il a bien reçu une somme d’argent de l’employeur. Deuxièmement, si tel n’est pas le cas, l’employeur se retrouvera dépourvu de moyens et devra donc repayer la rémunération. Il pourrait cependant à notre avis réclamer le remboursement du salaire déjà payé, à condition qu’il prouve bien un tel paiement, et sur base des dispositions légales en matière de répétition de l’indu.
Mehdi Warnier
Claeys & Engels
Cour du travail de Bruxelles, 4ème chambre, R.G. 2017/AB/630