Au-delà de ces questions, beaucoup d’entreprises sont également en train de réfléchir stratégiquement à remplir autrement le lieu de travail à long terme et, le cas échéant, à introduire, de manière structurelle le télétravail, de manière partielle ou non. Mais quid si le télétravail est effectué depuis l’étranger? Un aperçu des points d’attention les plus importants.
(1) Migration du travail
Etant donné que le travailleur travaille à l’étranger, il doit être vérifié si des autorisations de travail ou de séjour ne sont pas nécessaires. Au sein de l’EEE, ceci ne posera habituellement pas de problème pour les citoyens de l’Union (bien qu’une carte de séjour doive le cas échéant être demandée après 3 mois), mais cela pourrait être le cas pour des ressortissants de pays tiers. Un ‘single permit’ ne donne, en effet, à un ressortissant d’un pays tiers que l’autorisation de travailler en Belgique. Avec un single permit, les ressortissants de pays tiers peuvent, certes, séjourner maximum 90 jours sur une période de 180 jours dans l’espace Schengen mais il doit toujours être vérifié, par état membre, si une autorisation supplémentaire de travail n’est pas requise. Lorsqu’il est travaillé en dehors de l’EEE, il faut, a fortiori, vérifier quelles sont les exigences/possibilités sur le plan de la migration du travail.
(2) Sécurité sociale applicable
Lorsque le télétravail a lieu au sein de l’EEE/en Suisse, la sécurité sociale applicable est déterminée par le Règlement (CE) 883/2004. Le point de départ, dans ce cadre, est que le travailleur est soumis à la sécurité sociale dans un seul état membre : l’état de travail. Il existe 2 exceptions à ce principe : le détachement et l’occupation simultanée dans plusieurs états membres.
Lorsque le travailleur compte travailler temporairement à 100% à l’étranger, il peut être fait appel aux règles relatives au détachement – pour autant que les conditions soient remplies à cet égard – afin que le travailleur continue à être soumis à la sécurité sociale belge.
En revanche, lorsque le travailleur télétravaille partiellement à l’étranger, ce sont les règles relatives à l’occupation simultanée dans plusieurs états membres qui trouvent à s’appliquer. Le point de départ à cet égard est le fait que le travailleur est soumis à la sécurité sociale de l’état de résidence s’il y travaille au moins 25%. Si ce n’est pas le cas, il est soumis à la sécurité sociale de l’état membre du siège de l’employeur. Autrement dit, lorsque le travailleur réside à l’étranger, le télétravail à temps partiel peut avoir un impact important sur la sécurité sociale applicable. La sécurité sociale belge ne sera, en effet, plus applicable lorsque le travailleur travaille au moins 25% (soit 1,5 jour par semaine en cas d’occupation à temps plein) de la maison.
Notez que l’ONSS belge a adopté la position que les jours de télétravail dans un autre état membre qui sont exclusivement liés aux mesures de COVID-19 et limités à la durée de la situation exceptionnelle, ne sont pas pris en compte jusqu’au 31 décembre 2020 (sauf prolongation) pour déterminer la sécurité sociale applicable et n’ont donc aucun impact. Dans ce cadre, aucun formulaire A1 ne doit être demandé. Un certain nombre d’états membres ont adopté un point de vue similaire mais ceci doit être analysé par état membre.
Lorsque le travailleur travaille en dehors de l’EEE/de la Suisse, il doit être vérifié si la Belgique a conclu une convention de sécurité sociale avec le pays concerné et sous quelles conditions le travailleur peut rester soumis à la sécurité sociale belge. En cas de modification dans le modèle de travail à la suite des mesures liées au COVID-19, la Direction Relations Internationales de l’ONSS doit être informée et chaque dossier est traité de manière individuelle et séparée.
(3) Formalités
En cas de détachement, un formulaire A1 (au sein de l’EEE/en Suisse)/Certificate of Coverage (en dehors de l’EEE/de la Suisse) doit être demandé. En cas d’occupation simultanée dans plusieurs états membres, le formulaire A1 doit être demandé dans l’état de résidence. De plus, en fonction de la situation, le travailleur devra demander une European Health Insurance Card ou un formulaire S1.
Enfin, il doit être vérifié si aucune notification ne doit être adressée aux autorités locales, comme en Belgique, la déclaration Limosa. Et, tout comme en Belgique, des sanctions peuvent également trouver à s’appliquer à l’étranger au cas où les notifications requises n’interviennent pas à temps.
Inversement, lorsque des travailleurs travaillent habituellement dans un autre état membre mais télétravaillent temporairement en Belgique en raison des mesures liées au COVID-19, aucune déclaration Limosa ne doit être faite jusqu’au 31 décembre 2020 (à moins d’une prolongation).
Enfin, il faut également vérifier si certains documents sociaux doivent être conservés.
(4) Droit du travail, bien-être au travail et data privacy
Sur base du Règlement Rome I, dans l’hypothèse d’une situation d’extranéité, les parties sont libres de choisir le droit applicable à leur contrat de travail. Par conséquent, les parties peuvent parfaitement choisir de continuer à appliquer le droit belge pendant l’occupation à l’étranger. Ce choix du droit ne peut cependant pas porter préjudice à la protection des dispositions contraignantes du lieu d’’occupation habituelle. Le fait de savoir si l’occupation à l’étranger est, ou non, le lieu d’occupation habituelle doit être vérifié au cas par cas.
Mais même si l’occupation à l’étranger n’est pas le lieu d’occupation habituelle, il faut encore vérifier s’il n’existe pas des dispositions de droit du travail locales qui sont de toute manière applicables. Cela peut être p. ex. le cas de dispositions en matière de bien-être au travail, de durée du travail, de vacances annuelles, de jours fériés, de salaire minimum, etc.
Les mesures sanitaires locales devront évidemment également être respectées et il devra également être vérifié si des mesures supplémentaires en matière de data privacy doivent être prises.
(5) Fiscalité
Il devra être vérifié si le travailleur, de par son occupation à l’étranger, ne représente pas un risque pour la création d’un établissement stable de l’employeur (belge) à l’étranger, ce qui aurait pour conséquence un assujettissement de l’employeur à l’impôt des sociétés étrangères. Ceci est également une question factuelle qui doit être analysée au cas par cas.
En ce qui concerne l’imposition des personnes physiques, le travailleur qui a sa résidence fiscale à l’étranger est imposé à l’étranger pour tous les jours pour lesquels il travaille à l’étranger. Les jours qu’il preste en Belgique et qui sont rémunérés par l’employeur belge seront, en revanche, imposés en Belgique.
En revanche, si le travailleur conserve sa résidence fiscale en Belgique, il doit être fait application de la ‘règle des 183 jours’. Bien que cela doive toujours être vérifié dans la convention en matière de double imposition pertinente, le travailleur pourra habituellement continuer à être imposé intégralement en Belgique si i) il n’est pas présent plus de 183 jours dans l’autre pays (par année civile ou par période de 12 mois en fonction de la convention en matière de double imposition pertinente), ii) le salaire n’est pas payé par ou au nom d’un employeur établi dans l’autre pays et iii) le salaire n’est pas supporté par un établissement stable de l’employeur dans l’autre pays. Si une de ces conditions n’est pas remplie, le travailleur sera imposé à l’étranger pour les jours prestés à l’étranger.
Il est à noter que la Belgique a conclu des accords avec les Pays-Bas, la France, le Luxembourg et l’Allemagne qui neutralisent les jours prestés à l’étranger en raison des mesures liées au COVID-19 pour les travailleurs transfrontaliers et ce, jusque fin 2020 (sauf prolongation).
Conclusion: le télétravail partiel ou non, temporaireou structurel à l’étranger peut avoir un impact important sur un certain nombre de points. Il est donc indiqué de bien en analyser les conséquences à l’avance et d’élaborer une politique à cet égard.
Sophie Maes
Associée Claeys & Engels