Mélanie Henrion, Avocate-Collaboratrice, Claeys & Engels
Faits
Le 14 mars 2018, dans le cadre de sa formation professionnelle en bureautique, Madame L.F., qui est de confession musulmane et porte le foulard islamique, a adressé une candidature spontanée à S.C.R.L. en vue d’y effectuer un stage non rémunéré de six semaines.
Le 22 mars 2018, Madame L.F. a été reçue pour un entretien avec des responsables de S.C.R.L., au terme duquel ces derniers ont indiqué avoir un avis positif quant à sa candidature et lui ont demandé si elle pouvait accepter de se conformer à la règle de neutralité promue au sein de S.C.R.L.
Cette règle du règlement de travail stipulait que « [l]es travailleurs s’engagent à respecter la politique de neutralité stricte qui prévaut au sein de l’entreprise » et que ces travailleurs « veilleront dès lors à ne manifester en aucune manière, ni en paroles, ni de manière vestimentaire, ni d’aucune autre manière, leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques, quelles qu’elles soient ».
Madame L.F. a fait savoir qu’elle ne marquerait pas son accord sur cette règle et S.C.R.L. n’a donné aucune suite à sa candidature.
Madame L.F. a réitéré sa demande en proposant de porter un autre type de couvre-chef mais S.C.R.L. l’a informée qu’elle ne pouvait lui proposer un tel stage au motif qu’aucun couvre-chef n’était autorisé dans ses locaux, que ce soit une casquette, un bonnet ou un foulard.
Madame L.F. a introduit, suite à cette décision, une action en cessation devant le Tribunal du travail, se plaignant du refus de conclusion d’un contrat de stage qu’elle estimait être fondée directement ou indirectement sur la conviction religieuse.
S.C.R.L. répliquait que le règlement de travail ne générait pas de discrimination directe puisqu’il traitait de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise.
Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a décidé de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante :
l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 doit-il être interprété en ce sens qu’une disposition d’un règlement de travail d’une entreprise interdisant aux travailleurs de manifester en paroles, de manière vestimentaire ou de toute autre manière, leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques, quelles qu’elles soient, constitue, à l’égard des travailleurs qui entendent exercer leur liberté de religion et de conscience par le port visible d’un signe ou d’un vêtement à connotation religieuse, une discrimination directe « fondée sur la religion ou les convictions », au sens de cette directive ?
Décision de la CJUE
La Cour confirme que la disposition précitée du règlement de travail ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou les convictions et fonde, notamment, sa décision sur les éléments suivants :
- la règle ne se limite pas à interdire les signes ostentatoires de grande taille mais tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail ;
- rien ne démontre que S.C.R.L. n’aurait pas appliqué le règlement de travail en cause de manière générale et indifférenciée ou que Madame L.F. aurait été traitée différemment de tout autre travailleur qui aurait manifesté sa religion ou ses convictions religieuses ou philosophiques par le port visible de signes, de vêtements ou de toute autre manière.
La Cour se prononce ensuite, alors qu’elle n’a pas été interrogée sur cette notion, sur le concept de discrimination indirecte en ces termes :
- la Cour rappelle qu’une règle neutre en apparence, qui aboutit en fait à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions, peut constituer une discrimination indirecte.
- La Cour rappelle ensuite qu’une telle différence de traitement ne sera pas constitutive d’une discrimination indirecte si elle était objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires.
- La Cour précise enfin que la simple volonté d’un employeur de mener une politique de neutralité, bien que constituant, en soi, un objectif légitime, ne suffit pas, comme telle, à justifier de manière objective une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou les convictions, le caractère objectif d’une telle justification ne pouvant être identifié qu’en présence d’un besoin véritable de cet employeur, qu’il lui incombe de démontrer.
En conclusion
Si la décision de la CJUE semble claire quant à l’absence de discrimination directe lorsqu’une politique de neutralité est appliquée de manière générale et indifférenciée, elle semble plus prudente dans l’appréciation de la notion de discrimination indirecte.
Il ne suffira donc pas de faire état d’une simple volonté de mener une politique de neutralité mais il conviendra de pouvoir démontrer la présence d’un besoin véritable de disposer d’une telle politique dans le chef de l’employeur.
Sources : CJUE 13 octobre 2022, affaire C-344/20
