Sarah Geerts, avocate – collaboratrice, Claeys & Engels
La Cour du travail de Liège, division Namur, dans un arrêt du 3 novembre 2022, a jugé que le fait qu’une travailleuse soit visée dans une liste de travailleurs qui seront impactés par un licenciement collectif alors qu’elle était en congé de maternité équivaut à un acte préparatoire au licenciement, même si son licenciement lui a été notifié après la fin de la période de protection.
Faits pertinents et contexte légal
La travailleuse avait été engagée le 19 avril 2017 et avait annoncé sa grossesse à son employeur le 25 avril 2017. La période de protection courait jusqu’au 6 décembre 2017, soit 1 mois après la fin de son congé maternité (6 novembre 2017). L’entreprise au sein de laquelle elle était employée avait pris, le 21 avril 2017, la décision de procéder à une restructuration. Ce même mois, une liste avait établie avec le nom des travailleurs qui seraient concernés par la restructuration, dont la travailleuse en congé de maternité. Dans des échanges d’e-mails en octobre 2017, le nom de la travailleuse se voyait à nouveau repris dans cette liste. La travailleuse sera informée de son licenciement le 8 décembre 2017, soit 2 jours après la fin de la période de protection.
En vertu de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, l’employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut pas rompre le contrat de travail dès le moment où il a été informé de l’état de grossesse et jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois prenant cours à la fin du congé postnatal.
Depuis une loi du 7 octobre 2022 qui a modifié la loi du 16 mars 1971 sur le travail, il est également interdit de prendre des mesures préparatoires à une telle décision durant la période de protection, ce qui était le point litigieux dans le cas d’espèce. En effet, la travailleuse prétendait qu’être reprise sur la liste des travailleurs visés par la restructuration était un acte préparatoire à son licenciement posé pendant la période de protection.
Il reviendrait selon elle à l’employeur de démontrer que le licenciement était étranger à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement. S’il n’y parvient pas, il serait redevable d’une indemnité forfaitaire égale à la rémunération brute de 6 mois.
Arrêt de la Cour du travail de Liège, division Namur
La première question était de savoir si le fait que la travailleuse ait été reprise sur des listes de travailleurs concernés par le licenciement collectif pouvait être considéré comme un acte préparatoire au licenciement.
En outre, la Cour du travail de Liège, division Namur, a jugé que le fait de licencier pour des raisons économiques est un motif qui peut être admis comme étant étranger à l’état de grossesse pour autant que l’employeur démontre la nécessité de réduire son personnel et le fait qu’il n’a pas choisi de rompre le contrat de travail en raison de son état de grossesse.
In casu, la Cour a estimé que l’employeur avait pris, durant la période de protection, des mesures préparatoires à la décision de licencier. La Cour déduit cela notamment d’un e-mail qui contenait une liste des travailleurs qui allaient être touchés par la restructuration, dont la travailleuse enceinte. En outre, la défense de l’employeur, qui consistait à dire que la travailleuse avait été licenciée dans le cadre du licenciement collectif car elle entrait dans les critères, n’a pas convaincu la Cour. En effet, elle a estimé que l’employeur n’apportait aucun élément de preuve démontrant que le licenciement était étranger à l’état de grossesse de la travailleuse.
La Cour a donc condamné l’employeur à payer une indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération à la travailleuse.
L’employeur doit veiller à ne pas poser, pendant la période de protection liée à la maternité, un acte préparatoire au licenciement d’une travailleuse car cet acte pourrait être assimilé à une décision de licenciement
Par ailleurs, la Cour a estimé que la travailleuse avait suffisamment apporté d’éléments qui démontrent l’existence de faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe fondée sur le sexe et a donc également condamné l’employeur à payer une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de rémunération sur base de la loi du 10 mai 2007 sur la discrimination sur base du genre.
Finalement, la Cour a estimé que ces deux indemnités pouvaient être cumulées car elles poursuivaient des objectifs distincts. Elle a estimé que la loi sur l’égalité des genres de 2007 a pour objet de créer un cadre général à la lutte contre la discrimination fondée sur le sexe, ce qui protège autant les femmes que les hommes tandis que la loi du 16 mars 1971 a pour objet la protection des femmes enceintes par l’amélioration du milieu de travail en ce qui concerne leur sécurité et leur santé, l’interdiction de licencier visant à les prémunir des effets dommageables que pourrait avoir un licenciement pour des raisons liées à leur état de grossesse sur leur situation physique et psychique.
Conclusion
En conclusion, l’employeur doit veiller à ne pas poser, pendant la période de protection liée à la maternité, un acte préparatoire au licenciement d’une travailleuse car cet acte pourrait être assimilé à une décision de licenciement et conduire l’employeur à devoir lui payer une indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération. Plus particulièrement, l’employeur veillera à se ménager des éléments de preuve qui démontrent qu’il n’a pas choisi de rompre le contrat d’une travailleuse, plutôt qu’un autre, en raison de son état de grossesse.
Sarah Geerts
Avocate – collaboratrice
Claeys & Engels