Ces conclusions ressortent d’une étude cherchant à mieux comprendre le lien entre usage des médias sociaux et bien-être, menée par Holly Shakya, professeure associée de santé publique à l’Université de Californie, et Nicolas Christakis, professeur de sciences sociales et naturelles, de médecine interne et de génie biomédical, à l’Université de Yale. Pour cette étude dont les résultats ont été publiés dans le Harvard Business Review, ils ont analysé trois séries de données collectées auprès de 5.208 adultes faisant partie d’un panel longitudinal national administré par l’institut Gallup, qu’ils ont associées à différentes mesures de l’utilisation de Facebook pour déterminer comment le bien-être évoluait au fil du temps, parallèlement à l’usage de cette plateforme.
Leurs indicateurs de bien-être incluaient la satisfaction dans la vie, une auto-évaluation de la santé mentale et physique et l’indice de masse corporelle de la personne interrogée. Les indicateurs concernant l’utilisation de Facebook incluaient le fait de « liker » les billets postés par d’autres, la rédaction de billets personnels et le fait de cliquer sur des liens. Ils ont également mesuré la vitalité des réseaux sociaux dans la « vraie » vie des répondants. A chaque vague d’enquête, ceux-ci étaient invités à nommer jusqu’à quatre amis avec lesquels ils discutaient de sujets sérieux et jusqu’à quatre amis avec qui ils passaient du temps; les participants pouvaient ainsi nommer jusqu’à huit personnes.
Trois points forts
Trois points forts ont distingué l’approche de la majorité des enquêtes réalisées sur le sujet. Tout d’abord, pour la plupart des sondés, les deux chercheurs ont disposé de trois vagues de données sur deux ans. Ce qui a permis d’évaluer dans quelle mesure des changements dans l’usage des médias sociaux étaient associés à des variations dans le bien-être ressenti. La plupart des études menées jusqu’alors n’utilisaient qu’un ensemble de données à un instant T, ce qui limitait l’interprétation des résultats à de simples associations. Deuxièmement, plutôt que de prendre en compte des données déclaratives, ils se sont servis d’indicateurs objectifs pour mesurer l’usage de Facebook, issus directement des comptes des utilisateurs. Troisièmement, en plus des données Facebook, Holly Shakya et Nicolas Christakis ont collecté des informations sur les réseaux sociaux dans la « vraie » vie du répondant, ce qui leur a permis de comparer les deux influences (celles des réseaux en face-à-face et celles des interactions en ligne).
Leurs résultats ont donc montré que, alors que les interactions sociales dans la « vraie » vie sont positivement corrélées au bien-être général, celles liées à Facebook le sont négativement, notamment en ce qui concerne la santé mentale; la plupart des mesures de l’utilisation de Facebook au cours d’une année étaient liées à une baisse de la santé mentale l’année suivante. Ainsi, « liker » le contenu posté par d’autres et cliquer sur des liens était associé à une baisse de l’état de santé physique et mentale et à une moindre satisfaction dans la vie.
En plus d’une mesure des réseaux dans la « vraie » vie, leurs modèles incluaient un niveau de référence d’utilisation de Facebook. Une fois les niveaux initiaux de bien-être, de relations sociales réelles et d’usage de Facebook de la personne sondée pris en compte, une augmentation du temps passé sur la plateforme était toujours associée à la probabilité d’une diminution du bien-être futur. Ce qui indiquerait que l’association entre l’utilisation de Facebook et un moindre bien-être constitue un processus évolutif.
Une vie épanouie?
Si les deux chercheurs peuvent montrer que l’usage de Facebook semble s’accompagner d’une diminution du bien-être, ils ne sont toutefois pas en mesure de dire comment cela se produit. « Il est intéressant de noter que nous n’avons pas constaté de différences notables entre les trois types d’activités mesurées – ‘liker’, publier un billet et cliquer sur des liens (bien que ‘liker’ et cliquer étaient plus souvent significatifs) et l’impact sur l’utilisateur, expliquent-ils. Alors que nous nous nous doutions que ‘liker’ le contenu d’autrui serait plus susceptible d’amener à se comparer négativement à ces individus et, donc, de diminuer le bien-être ressenti, mettre à jour son statut et cliquer sur des liens semble avoir un effet similaire (quoique la mise à jour du statut puisse à l’évidence résulter d’une comparaison avec autrui et d’un ajustement en conséquence de sa propre image). Dans l’ensemble, nos résultats suggèrent qu’un déclin du bien-être dépend aussi du temps d’utilisation et pas seulement de sa qualité, ce qui contraste avec de précédentes recherches qui tendent à montrer que la quantité d’interactions sur les réseaux sociaux importe finalement peu et que seule compte leur qualité. »
Ces résultats peuvent être pertinents pour d’autres formes de médias sociaux. « Alors que nombre de plateformes exposent leurs utilisateurs aux genres de profils policés qui peuvent amener à se déprécier soi-même, elles vont également devoir confronter la question de l’usage inconsidéré que peuvent en faire leurs membres. Car si le temps d’écran peut être problématique de manière générale, ce qui est compliqué avec les médias sociaux, c’est que tant que nous les utilisons, nous avons le sentiment d’être engagés dans des interactions sociales qui ont du sens, alors que nos résultats indiquent que la nature et la qualité de ce type de connexions ne peuvent en aucun cas se substituer aux interactions avec de véritables humains – ce dont nous avons besoin pour mener une vie épanouie. Le monde des médias sociaux est certainement complexe. Etre exposé aux belles images de la vie des autres conduit à se déprécier et la quantité d’interactions sur les médias sociaux est telle qu’elle peut nous amener à nous priver de vivre des expériences davantage chargées de sens dans la ‘vraie’ vie. Ce qui semble très clair, cependant, c’est que les relations en ligne ne pourront jamais se substituer aux vraies expériences. »
Source: Harvard Business Review