Nombre de DRH se disent « atypiques ». Comme souvent, celui qui le dit le moins l’est généralement le plus. Chaque cas est singulier, certes, mais le qualificatif apparaît taillé sur mesure pour Stéphane Haefliger. Aujourd’hui directeur des ressources humaines et de la communication de la CBH Compagnie Bancaire Helvétique à Genève, ce multi-diplômé (science politique et sociale à l’Université de Lausanne et à la Sorbonne, psychosociologie à l’Université Paris VII-Denis Diderot et à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne entre autres, sans évoquer plusieurs programmes en management) se décrit en « épicurieux à la dispersion élective, lecteur compulsif, enseignant passionné » et, de surcroît, doctorant. En plus de ses fonctions de DRH dans la banque privée, il prépare en effet une thèse de doctorat en Business Administration au sein du Business Science Institute et de l’IAE Université Jean Moulin Lyon III. Cerise sur le gâteau: Stéphane Haefliger est un de ces rares DRH qui écrivent. Mieux: il écrit avec un style vivant et précis, un ton pragmatique sortant des sentiers battus, et même une bonne dose de courage, voire d’impertinence. Son dernier ouvrage, DRH et manager, levez-vous!, n’est pas sans rappeler l’Indignez-vous! de Stéphane Hessel…
Stratégique?
« Les RH sont aujourd’hui dans un moment particulier de leur existence, un moment disruptif qui pourrait donner naissance à de nouvelles pratiques, à de nouvelles postures, à de nouvelles prestations. Bref, à un nouveau positionnement de la fonction, estime Stéphane Haefliger. Il ne suffit pas de chercher à combler notre déficit réputationnel par notre professionnalisme. Il faut également se remettre en question, imaginer une rénovation du métier et de nos pratiques. Car les métiers ont également des carrières. Ils naissent, évoluent, et parfois, certains meurent et disparaissent. Il n’y a aucune raison de penser que les RH seraient protégés. Si nous n’y prenons garde et ne générons pas une réelle valeur ajoutée à l’endroit de nos clients internes, nos métiers jusqu’ici intégrés à l’organisation risquent de se désintégrer. L’enjeu n’est évidemment pas tant la disparition effective de nos prestations, mais bien leur disparition au sein de l’entreprise : le hard HR dehors, le soft HR aux oubliettes de l’histoire et le reste délégué à la ligne. On a beaucoup écrit et palabré sur le RH ‘partenaire stratégique’, en mettant l’accent sur le mot ‘stratégique’, alors que c’est sur ‘partenaire’ qu’il faudrait centrer nos préoccupations. Nous devons cesser de ‘faire des RH’, tout en revisitant notre relation avec la direction générale et avec le conseil d’administration. Ce n’est pas qu’une affaire de com’, de ‘se vendre’. Il s’agit d’une question de posture, d’engagement, de conviction, d’enthousiasme et d’énergie, mais aussi de bon sens et de réelle remise en question de nos pratiques. Notre place est encore à conquérir. »
Lors de la Masterclass, les participants pourront l’interpeller sur les pistes qu’il propose. Ce qui est sûr, c’est que la voie du « Chief Happiness Officer » n’est pas celle qu’il encourage à suivre. « Soyons sérieux, réplique-t-il. Le directeur du bonheur au travail participe d’un enfumage idéologique visant à nous faire prendre des éléphants roses pour des souris dans un magasin de porcelaine. Il vise à masquer que les entreprises sont le lieu de rapports de forces institués. Il vise à masquer que les entreprises sont également des institutions plus fragiles qu’on ne le pense et qu’il faut donc en prendre soin si nous souhaitons conserver de l’emploi. Il vise à nous faire croire que nos sociétés sont des paradis d’amusements inspirés de Googleland et de l’univers de Walt Disney. Quand le Chief Happiness Officer en question devra licencier la moitié des effectifs, comment va-t-il opérer Avec un sourire de fonction, des paillettes et le chapeau de Dingo? Une question banale et administrative: osera-t-il signer les lettres de licenciements en indiquant l’intitulé de sa fonction de Chief Happiness Officer? Cessons de nous éparpiller dans la propagande et la pensée ‘mainstream’. Les RH gagneraient à cesser de brasser de l’R et à rester Humble. Faire croire qu’on peut être un marchand de bonheur dans des environnements volatiles et incertains, où la pérennité n’est pas garantie, où les business models se reconfigurent, c’est à la fois naïf du point de vue professionnel, malhonnête du point de vue éthique et dangereux du point de vue politique. Les entreprises, dans le meilleur des cas, doivent faire grandir leurs collaborateurs, et non pas les endormir en leur racontant des balivernes. Nous devons nous dresser devant tant de bêtises. Evidemment, personne n’est dupe, car comme Michel Crozier, je crois à l’intelligence des acteurs insérés dans les organisations. »
Stéphane Haefliger interpelle: sommes-nous vraiment fiers de trois des processus-clés qu’il nous revient d’animer: l’évaluation, le recrutement et la formation? Il fait, à ce titre, l’éloge de la pensée critique. Et encourage à devenir les avocats de nos propres fonctions, notamment auprès de nos directions générales et de nos conseils d’administration. « Aidons-les à comprendre notre valeur ajoutée. Ce qui implique d’être agent de changement, de monter aux barricades, de challenger, d’occuper les positions. »
Pour venir écouter et rencontrer Stéphane Haefliger à Bruxelles le 22 février prochain, inscrivez-vous en suivant ce lien, ou contactez Nathalie Dierickx via [email protected].