En mai 2013, une travailleuse entre au service d’une première société dans les liens d’un contrat de travail à durée déterminée, pour une période allant de mai à août 2013, et à temps partiel, d’une durée de 19 heures par semaine. Contrairement aux dispositions du contrat de travail, la travailleuse exécuta en réalité ses prestations de travail au profit d’une seconde société.
À l’issue du contrat de travail à durée déterminée, la travailleuse décida d’introduire une action afin (notamment) de réclamer des arriérés de rémunération pour des heures complémentaires qui n’avaient pas été rémunérées. Par jugement du 24 avril 2017, le tribunal avait, avant dire droit, ordonné la réouverture des débats sur la question de la mise à disposition illicite de personnel.
La décision du tribunal
La mise à disposition de personnel est interdite sauf si l’employeur et la société utilisatrice peuvent se prévaloir d’une des exceptions prévues par la loi. Un cas de mise à disposition se présente lorsque l’employeur « prête » l’un de ses travailleurs à une entreprise tierce qui exerce une part quelconque de l’autorité patronale.
En l’espèce, le tribunal va considérer que la première société a illicitement mis la travailleuse à disposition de la seconde société, en s’appuyant sur les circonstances suivantes:
- la travailleuse disposait d’une carte de visite de la seconde société;
- la travailleuse disposait d’une adresse e-mail liée à la seconde société;
- le nom de la travailleuse figurait sur les conventions préimprimées de la seconde société;
- les e-mails envoyés par la travailleuse avant la prise de cours du contrat de travail ont été envoyés à la seconde société;
- la travailleuse prestait dans les locaux de la seconde société.
Des conséquences parfois inattendues
En cas de mise à disposition illicite de personnel, des sanctions pénales, administratives et/ou civiles sont applicables. La principale sanction sur le plan civil est qu’un contrat de travail à durée indéterminée naît entre le travailleur mis à disposition et la société utilisatrice. La naissance d’un tel contrat de travail à durée indéterminée a parfois des conséquences indirectes inattendues.
En l’espèce, la travailleuse occupée dans un régime de travail à temps partiel réclamait des arriérés de rémunération pour des heures complémentaires qui n’avaient pas été rémunérées. Dans son jugement du 28 mai 2018, le tribunal, après avoir constaté l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée avec la société utilisatrice, va constater que celui-ci a nécessairement été conclu à temps plein, soit 38 heures par semaine. Pour arriver à ce constat, le tribunal semble s’être appuyé sur l’article 11bis de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail qui prévoit que le contrat de travail à temps partiel doit être constaté par écrit et qu’à défaut d’un tel écrit, le travailleur peut choisir le régime de travail qui lui est le plus favorable.
Sur base de ces considérations, le tribunal a fait droit à la demande de paiement d’arriérés de rémunération et a condamné solidairement les deux sociétés a payé la différence entre les montants perçus pour son emploi à temps partiel et la rémunération correspondant à un contrat de travail à temps plein pour la période allant de mai à août 2013.
En conclusion, afin d’éviter les sanctions applicables en matière de mise à disposition illicite, l’employeur avisé veillera à bénéficier de l’une des exceptions prévues par la loi (ou à mettre en place une structure permettant d’éviter une mise à disposition illicite): que ce soit via une convention de mise à disposition moyennant l’autorisation de l’inspection sociale, via une convention de mise à disposition moyennant l’information de l’inspection sociale (uniquement pour une convention intra-groupe ou pour des tâches spécialisées), via une convention de sous-traitance, via un contrat de travail avec deux co-employeurs ou via deux contrats de travail à temps partiel.
Martin Laurent
Claeys & Engels