Une travailleuse est engagée en tant qu’account manager et est principalement chargée de prospecter et de vendre des produits cosmétiques. Elle doit notamment visiter une clientèle à intervalles réguliers et rédiger des rapports de visite journaliers. La travailleuse est licenciée pour motif grave pour non-respect de ses heures de travail, falsification de rapports journaliers et de son agenda, non-respect des moments d’appel et conservation de produits de démonstration. Elle introduit une action devant le tribunal du travail afin de contester son licenciement et de solliciter notamment l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis.
Le jugement du tribunal du travail
L’employeur invoque un certain nombre de faits qui remontent à plus de trois jours ouvrables avant la notification du congé. Le tribunal relève d’emblée que l’employeur ne démontre pas que ces faits ne lui ont été connus que dans les trois jours ouvrables précédant le licenciement pour motif grave et refuse dès lors de les prendre en considération.
Le tribunal relève ensuite que les faits reprochés à la travailleuse ont été obtenus en exploitant les données du système track and trace dont son véhicule de fonction était équipé. Le tribunal rappelle que les moyens de preuve invoqués par l’employeur doivent être conformes au droit à la protection de la vie privée, et qu’en l’absence de réglementation belge en la matière, il convient de respecter les principes généraux issus de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Constitution belge et de la réglementation belge en matière de protection des données à caractère personnel. Selon le tribunal, la surveillance des travailleurs via un système GPS n’est possible que pour autant qu’elle respecte les principes de finalité, de proportionnalité, de transparence et de recevabilité. Le tribunal précise que la conservation des rapports d’un système track and trace pendant plusieurs mois et jusqu’à la date de rupture constitue nécessairement une conservation et un traitement de données à caractère personnel, soumis à la réglementation belge en matière de protection des données.
Le tribunal constate que le système track and trace avait été installé sur les véhicules de fonction de l’employeur en violant les strictes conditions susmentionnées. L’utilisation d’un tel système n’avait été prévu ni par le règlement de travail, ni par un règlement particulier. Les travailleurs n’avaient pas été informés des conditions de consultation de leurs données de localisation et l’employeur n’avait notamment pas précisé aux travailleurs les coordonnées du responsable du traitement, l’existence d’un droit de rectification, la durée de conservation de leurs données de localisation, ou encore les conditions de conservation desdites données.
Considérant que les preuves issues de l’exploitation des données du système track and trace sont donc irrégulières, et rejetant l’application de la jurisprudence Antigone et Manon en se prévalant du fait que cette jurisprudence ne s’applique selon lui pas en matière civile, le tribunal considère que les preuves en question doivent être écartées et ne peuvent pas servir à établir les manquements reprochés à la travailleuse par l’employeur.
L’employeur ne produisant pas d’autres éléments probants afin d’établir les manquements invoqués à l’appui du courrier de rupture, le tribunal en conclut que le licenciement pour motif grave est non fondé et condamne l’employeur au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Amaury Arnould
Claeys & Engels
Source : T. T. du Brabant wallon, division Wavre (2ème ch.), jugement du 9 avril 2019 (R.G. n°14/1137/A)