Une obligation générale d’enregistrer le temps de travail en droit belge ? Impact sur la preuve des heures supplémentaires

Ressources juridiques

Guillaume Boreux, Avocat, Claeys & Engels

Ce 28 mars 2022, le Tribunal du travail du Hainaut, division Mons, s’est prononcé sur une demande relative au paiement d’heures supplémentaires que la demanderesse prétend avoir presté entre le 1er août 2015 et 12 avril 2016.

L’affaire portait sur une travailleuse occupée en tant que déléguée médicale depuis de nombreuses années par l’employeur. A la suite d’une réorganisation du département auquel elle était affectée, sa zone de travail s’était élargie, causant une augmentation du nombre de clients potentiels qu’elle était censée visiter. La travailleuse avait presté dans cette configuration du service pendant plusieurs mois, avant d’être finalement déclarée en incapacité de travail. Plusieurs années après cette mise en incapacité, la travailleuse avait introduit une demande de paiement d’heures supplémentaires pour la période entre la réorganisation du service et sa mise en incapacité. Elle avait prétendu avoir presté un nombre d’heures conséquent, à hauteur d’en moyenne une vingtaine d’heures par semaines.

Une jurisprudence constante exige habituellement que le travailleur supporte la charge de la preuve en cas de demande relative au paiement d’heures supplémentaires impayées. Il lui revient dès lors d’apporter la preuve : de la réalité des heures supplémentaires prétendument prestées, du nombre de celles-ci, et du consentement, même tacite, de l’employeur à la prestation des heures supplémentaires.

Dans le cas qui nous intéresse, le Tribunal s’est néanmoins écarté de cette jurisprudence, en décidant que c’était à l’employeur de démontrer que les heures supplémentaires n’avaient pas été prestées, en se basant sur un arrêt de la Cour de Justice de l’UE du 14 mai 2019 (l’arrêt CCOO c. Deutsche Bank). Dans celui-ci la Cour avait considéré que

« les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE […] concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail […] doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui […] n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ».

En d’autres termes, il revient aux Etats-membres de mettre en place un système de mesure du temps de travail, le cas échéant, en tenant compte « des particularités propres à chaque secteur d’activité concerné » (point 63 de l’arrêt).

Choisissant de favoriser une interprétation particulièrement extensive du prescrit de l’arrêt, le Tribunal a considéré que cette obligation d’introduction d’un système de mesure du temps de travail ne repose pas uniquement sur les Etats membres, mais également sur les employeurs directement. Et comme dans le cas d’espèce, l’employeur n’avait pas mis en place de système de ce type, le Tribunal a considéré que ce « manquement » de l’employeur justifiait un renversement de la charge de la preuve.

Néanmoins, il y a lieu de prendre un certain recul vis-à-vis de ce jugement. Depuis la réforme récente du droit de la preuve, les conditions menant à un renversement de la charge de la preuve ont été clarifiées par le législateur. Ainsi, le juge peut décider de renverser la charge de la preuve « dans des circonstances exceptionnelles ». Parmi celles-ci, les travaux parlementaires mentionnent à titre d’illustration le fait pour une partie de ne pas contribuer à l’administration de la preuve de manière fautive.

Or, en droit belge, il n’existe pas – à l’heure qu’il est – d’obligation générale d’enregistrement du temps de travail dans le chef de l’employeur. A ce sujet, l’on peut citer l’avis n°2324 du CNT (25 octobre 2022), dont la conclusion est rédigée comme suit :

« Un système général d’enregistrement (pointeuse ou autre) n’est requis ni par la directive sur le temps de travail, ni par la CJUE, qui parle uniquement d’un système permettant de mesurer le temps travaillé. Il existe en Belgique suffisamment de garanties légales (également par le biais d’une jurisprudence constante et prévisible) pour assurer l’effet utile des droits du travailleur en matière de temps de travail, tant sur la base de la directive sur le temps de travail que sur la base de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

De plus, d’autres décisions récentes se sont opposées à celle du Tribunal du travail du Hainaut[1]. L’absence d’un système d’enregistrement du temps de travail peut donc difficilement être qualifiée de « manquement », dans le chef de l’employeur, et la charge de la preuve n’aurait certainement pas dû être renversée.

[1] T. trav. fr. Bruxelles 17 septembre 2020 ; T. trav. fr. Bruxelles 18 janvier 2021 ; C. Trav. Bruxelles, 17 novembre 2021 ; T. trav. fr. Bruxelles 23 février 2021.

Guillaume Boreux
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