Ce sondage a été réalisé en mai 2021 à la demande de la section belge francophone d’Amnesty International auprès de 500 personnes âgé·e·s de plus de 55 ans en Wallonie et à Bruxelles (hors maisons de repos et maisons de repos et de soins). « Les résultats de ce sondage sont très interpellants. Ils indiquent que l’âge est un puissant facteur de discrimination dès que l’on dépasse les 55 ans et montrent à quel point l’âgisme est répandu dans notre société, explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. Omniprésent, ce phénomène passe néanmoins largement inaperçu et n’est pas vraiment contesté. Pourtant, les stéréotypes et les préjugés liés à l’âge ont des conséquences graves, comme l’exclusion des aîné·e·s de notre société et la banalisation des discriminations, de la négligence et de la violence envers eux·elles. »
Le sondage indique en effet que l’âge est l’un des principaux motifs de discrimination chez les personnes de plus de 55 ans — devant les compétences numériques, les croyances religieuses, la langue, le sexe, le handicap, l’origine ethnique, la couleur de la peau, la situation professionnelle, l’orientation sexuelle, etc. « Cette discrimination est un phénomène grave, qui va jusqu’à la maltraitance, et ce, dans des proportions très inquiétantes. En effet, la moitié des personnes qui ont répondu à notre sondage ont été confrontées à une forme de maltraitance ou connaissent quelqu’un·e qui l’est. Il est également à noter que 60% des différents types de maltraitance se produisent au moins une fois par an. »
Ces maltraitances sont principalement d’ordre psychologique (agressions verbales, dévalorisation, humiliation, abus d’autorité, harcèlement, isolement, menaces, chantage, etc.), mais aussi physique (coups, soins inappropriés, contention physique, abus sexuel, etc.), à mettre en relation avec de la négligence (refus délibéré de répondre aux besoins, privation de nourriture ou de médicaments, etc.) ou concernent des abus civils et financiers (exploitation, utilisation illégale de ressources, procuration abusive, privation de l’exercice des droits civiques, limitation des contacts sociaux, etc.).
Stéréotypes et préjugés
En relation directe avec les maltraitances et la discrimination subies par les aîné·e·s, les stéréotypes et les préjugés en raison de leur âge touchent dans une large proportion les personnes âgées de plus de 55 ans. Ainsi, selon ces stéréotypes et préjugés, les aîné·e·s ne comprendraient pas les générations les plus jeunes (28%) et, de manière générale, ils·elles ne comprendraient ce qu’on leur dit (22%). Parallèlement, 37% des personnes sondées considèrent que leur opinion est devenue moins importante, tandis que 29% ne se sentent plus respectées comme avant et 17% estiment ne pas être prises au sérieux en raison de leur âge. Une faible maîtrise des nouvelles technologies par les personnes âgées de plus de 55 ans constitue un autre préjugé préoccupant. Un·e répondant·e sur deux (48%) se sent ainsi victime du regard négatif de la société à cet égard.
« Le problème principal est justement ce regard négatif, qui se substitue à la compréhension des difficultés que rencontrent les aîné·e·s et au soutien dans l’apprentissage dont ils·elles devraient bénéficier. Ce type de préjugé a par ailleurs de réelles conséquences. Ainsi, dans le secteur de l’emploi, 23 % des répondant·e·s de plus de 55 ans ont ainsi été traité·e·s différemment depuis qu’ils·elles ont atteint 55 ans et bénéficient de ce fait de moins d’opportunités de démontrer leurs compétences », indique Philippe Hensmans.
Malgré ces stéréotypes et préjugés dont elles sont victimes, les personnes sondées ont toutefois témoigné d’une vision positive d’elles-mêmes. Ainsi, 89 % d’entre elles se sentent jeunes d’esprit et 87 % se sentent bien dans leur peau. « En réalité, c’est le regard de l’autre qui est négatif, précise Philippe Hensmans. Trente et un pour cent (31 %) des répondant·e·s ne se sentent pas vieux·vieilles, mais considèrent que c’est le regard de la société qui leur donne ce sentiment. D’ailleurs, près de la moitié des répondant·e·s considèrent qu’ils·elles ne sont pas représenté·e·s de manière positive dans les médias. »
Une réalité hétérogène
Le sondage montre également que l’âgisme prend des formes diverses et se manifeste dans des secteurs différents en fonction de l’âge des personnes interrogées. Ainsi, les répondant·e·s dont l’âge varie entre 55 et 64 ans seront particulièrement touché·e·s par l’âgisme sur le lieu de travail, tandis que ceux·celles qui ont plus de 75 ans vont être davantage victimes de stéréotypes et préjugés relatifs à la perte de mobilité et la fragilité physique (39 % contre 15% des 55-64 ans), à la mauvaise compréhension de ce qui leur est dit (28% contre 17% des 55-64 ans) ou à une déficience de leurs capacités visuelles (28% contre 18 % des 55-64 ans).
« Loin d’être un phénomène homogène, l’âgisme à l’encontre des aîné·e·s a également une dimension intersectionnelle, c’est-à-dire qu’il recoupe d’autres formes de stéréotypes, de préjugés et de discriminations, avec lesquels il interagit. Il est question notamment de la discrimination fondée sur la capacité physique, de sexisme et de racisme. Les multiples formes de préjugés qui se croisent aggravent les désavantages et rendent les effets de l’âgisme encore plus virulents », remarque-t-il.
Ainsi, les femmes sont plus touchées que les hommes par le regard que leur porte la société. Cinquante-trois pour cent (53%) des répondantes pensent ainsi que les aîné·e·s ne sont pas représenté·e·s de manière positive dans les médias, les messages publicitaires, etc., contre 37% des hommes sondés. De même que 37% des femmes interrogées ne se sentent pas « vieilles », mais jugent que c’est le regard que leur porte la société qui leur donne ce sentiment, contre 23% des répondants masculins. « Par rapport aux hommes du même âge, les femmes de plus de 55 ans se sentent plus mises à l’écart, sont plus particulièrement touchées par certains stéréotypes et préjugés, et sont plus victimes de dévalorisation, d’infantilisation, de dénigrement et d’humiliation. »
Les aîné·e·s appartenant à une minorité — relative à la couleur de peau, à l’origine ethnique, à l’orientation sexuelle ou au handicap physique/intellectuel — souffrent quant à eux·elles d’un plus grand manque de considération, sont plus victimes de stéréotypes et de préjugés, et sont plus sujet·te·s à la discrimination et aux maltraitances. Quarante-cinq pour cent (45%) d’entre eux·elles considèrent ainsi que leur opinion est devenue moins importante contre 33% des aîné·e·s n’appartenant pas à une minorité. Par ailleurs, 31% des aîné·e·s appartenant à une minorité se sentent souvent seul·e·s contre 22% des autres personnes sondées.
« Compte tenu des enseignements que nous apporte ce sondage et des témoignages qui nous sont parvenus, conclut Philippe Hensmans, il est essentiel qu’une réelle prise de conscience s’opère quant à l’âgisme envers les aîné·e·s. Pour lutter efficacement contre cette catégorisation dangereuse, il faudra que notre regard et nos comportements changent fondamentalement. Pour cette raison, la publication des résultats de notre sondage coïncide avec le lancement d’une nouvelle campagne d’Amnesty International qui connaîtra plusieurs développements au cours des mois à venir, notamment en nous adressant aux autorités régionales et locales. »