La question du rôle des employeurs en matière de santé des collaborateurs comporte des aspects juridiques, économiques et éthiques, Jochanan Eynikel, philosophe des affaires à Etion, va droit au but. « Sur le plan juridique, les employeurs ont des obligations claires dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail. Cela signifie également que, s’il existe un vaccin pour une certaine affection pour laquelle le collaborateur est plus à risque en raison de son travail, vous êtes légalement tenu, en tant qu’employeur, de proposer ce vaccin. Mais il y a également un argument économique justifiant de s’occuper de la santé des travailleurs. Pensez au vaccin annuel contre la grippe: les employeurs l’offrent aussi parce que c’est à leur avantage si cela permet de réduire l’absentéisme. »
Un troisième argument est d’ordre éthique. La relation entre le collaborateur et l’employeur ne tourne plus uniquement autour d’un échange transactionnel de temps de travail contre de la rémunération. « De nombreuses études montrent que les salariés veulent être respectés en tant que personne. Ils veulent un employeur attentionné, ce qui inclut la santé physique. Cela ne veut pas dire que vous deviez vous occuper de questions purement privées, mais bien qu’il faille porter de l’attention à la santé. »
Monter dans l’échelle d’intervention
Aujourd’hui, c’est la pandémie de Covid-19 qui est au cœur de l’attention. Un des sujets du débat public porte sur le refus de la vaccination. Quel rôle les entreprises ont-elles à jouer dans cette discussion? Jochanan Eynikel pense d’abord au fait d’encourager la vaccination. Il fait pour cela référence à l’échelle d’intervention de Nuffield. Celle-ci identifie un certain nombre de « mesures » que vous pouvez prendre pour encourager les gens à se comporter d’une manière particulière. L’échelle commence au niveau le plus bas — ne rien faire — et va jusqu’à un véritable engagement. « La première étape consiste à sensibiliser et à informer. Nous le faisons déjà, et les employeurs peuvent également jouer un rôle en expliquant clairement pourquoi il est important de vacciner, indique-t-il. À l’étape suivante, vous fournissez des incitations positives. La société peut le faire, mais l’employeur aussi. Par exemple, une vaccination peut être un avantage extra-légal offert par l’employeur, bien que cela ne soit pas pertinent dans le cas du vaccin contre le coronavirus. Il existe déjà des exemples d’entreprises en Allemagne qui y travaillent grâce à une incitation financière sous la forme d’une prime salariale collective. »
Incitations négatives
Intervenir avec des incitations négatives va un pas plus loin, même si l’on s’aventure là sur un terrain plus glissant. L’employeur peut, par exemple, réserver un emploi international, avec de nombreux voyages à l’étranger, à ceux qui ont été vaccinés. Ceux qui ne veulent pas du vaccin sont alors inéligibles. « Lorsqu’il y a des conséquences négatives pour une personne qui ne se fait pas vacciner, il devient difficile pour les employeurs d’aller en ce sens sans soutien du gouvernement. Une disposition légale semble nécessaire pour rendre cela possible, même si c’est moralement justifiable. »
Une complexité supplémentaire apparaît lorsqu’un secteur exige que presque toutes les fonctions soient vaccinées, comme on peut le requérir dans le secteur des soins de santé, par exemple. « Réserver des emplois uniquement à ceux qui sont vaccinés pourrait ainsi entraîner une pénurie de personnel », avertit Jochanan Eynikel.
Revenons-en à l’échelle évoquée, où il y a encore une étape entre les incitations négatives à l’obligation: orienter le choix des collaborateurs en rendant le refus d’un vaccin peu attrayant. « Pensez à une infirmière qui doit enfiler une combinaison complètement stérile pour chaque consultation tant qu’elle n’est pas vaccinée, illustre Jochanan Eynikel. Mais, attention: un employeur peut bien sûr imposer des mesures de sécurité, mais elles doivent être proportionnées. Cela ne doit pas devenir de l’intimidation. »
L’obligation dans la ligne de mire
Arrivons au bout du raisonnement: le vaccin peut-il finalement être rendu obligatoire? Jochanan Eynikel note tout d’abord que ce n’est peut-être pas dans l’intérêt de la santé publique. « Si nous ne regardons que les effets, alors la vaccination obligatoire peut avoir un impact moindre que la vaccination volontaire. Après tout, le fait de le rendre obligatoire peut générer une plus grande résistance aux vaccins. Les gens essaient d’y échapper, deviennent plus méfiants à l’égard du gouvernement. L’effet pourrait donc être qu’il y aura moins de santé à cause de cette obligation. »
En outre, aujourd’hui, l’obligation n’est pas le sujet — il n’y a tout simplement pas assez de doses pour la soutenir. Il est également possible que, même sans obligation, nous atteignions le taux de vaccination de 70%, ce qui ouvrirait la porte à une vie normale, de sorte qu’il ne sera jamais nécessaire de forcer les gens. Mais peut-être que cela n’arrivera pas non plus, et alors l’obligation entre à nouveau en jeu de toute façon. « Avec une obligation, nous échangeons l’autonomie des gens contre la santé, conclut Jochanan Eynikel. Dans ce cas, nous aurons de toute façon besoin du gouvernement. Car, dès que les employeurs commencent à décider quelles vaccinations sont obligatoires et lesquelles ne le sont pas, ils entrent dans un rôle pour lequel ils n’ont pas de mandat… »
Timothy Vermeir